Je traverse l'espace librairie. Sur un petit banc à peine visible derrière une paroi qui le sépare d'un comptoir "Info" désert, une jeune femme, vêtue mode, est plongée dans un livre dont je ne vois pas le titre. À côté un enfant lit une BD. Réjouissant de constater qu'ils sont assis juste au-dessous du panneau d'interdiction de lire.
Celle-ci est enfreinte en toute sérénité dans l'espace des journaux, très fourni, mais Le Monde n'y est pas vendu le soir comme partout chez les marchands de journaux en Île-de-France, seulement le lendemain matin. Je parcours divers hebdos. Une femme lit Oulala !, un jeune 10 Sport et un autre La Gazette des transferts, une fille People. Un homme à l'écart est immobilisé dans la lecture d'une publication scientifique. Le présentoir des quotidiens, Le Parisien, Libé, Le Figaro, L'Équipe, est quasi vidé à cette heure de la journée. Des couvertures de magazine sont froissées. La brochure 100 Photos pour la liberté de la presse porte les traces d'une manipulation répétée. Auchan se soucie davantage des bonbons fraudés au super discount que de journaux détériorés.
Je trouve cet endroit plaisant, silencieux, presque secret, près d'un maigre rayon jardinage. Rassemblant une communauté de liseurs.

Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour, Paris, Raconter la vie Seuil, 2014, p. 45-46.