En ce sens, le déchet que sont le bouteilles jetées à la poubelle est éliminé de la culture. Non seulement au sens où ces bouteilles ont perdu leur "valeur", leur puissance impérative invisible, mais également au sens où elles ont perdu leur forme, où elles sont désinformées selon un processus entropique. Dénué de valeur et sujet à l'entropie : ce sont là, semble-t-il, des aspects caractéristiques de la nature. Aussi peut-on commettre l'erreur de considérer ces bouteilles comme étant restituées à la nature. À voir les choses ainsi, on pense que c'est précisément ce que signifie "consommer" : dévaloriser, déformer, transformer à nouveau en nature. Voilà qui revient à voir la culture comme un métabolisme. "Produire" signifie alors : valoriser, former, transformer la nature en culture. La culture serait un organisme qui se nourrirait de la nature grâce à la production, pour éliminer de nouveau la nature dans la consommation. Ce processus n'échapperait à l'éternel retour que s'il faisait croître l'organisme culturel — que si, donc, était produit plus qu'il n'était consommé. Dans les cultures de production telles que l'était la culture capitaliste, pareille manière de voir était pleinement justifiée. Mais dans des cultures de consommation telles que la nôtre, elle ne peut se défendre.
Car il se révèle qu'il est erroné de considérer l'ordure comme naturelle. Même dévalorisée et désinformée, l'ordure n'est pas dénuée de valeur et de forme ; elle est bien plutôt une anti-valeur et une anti-forme.
Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 22-23.