L'être humain n'a pas de place dans votre œuvre. Le monde, tel que vous le voyez, est davantage contenu dans un objet seul et le vide qui l'entoure…

Le portrait est à mes yeux comme un métier. Singulièrement, je n'y ressens que l'enveloppe et une sorte d'absence, un manque à l'intérieur, et ce même face aux portraits de grands artistes. Lorsque je travaille, je tâche essentiellement de saisir quelque chose qui est présent, mais que la figure annule. Souvent, cette mystérieuse présence se discerne plus tard, avec le temps. Je ne cherche pas à ce qu'on la voit ; je cherche à la faire exister.

Dans les années 60 vos toiles sont baignées de blanc et, derrière ce blanc, apparaissent et disparaissent des volumes aux formes géométriques…

C'est une fausse géométrie. Plutôt des plans colorés qui font penser à des boîtes. Certaines toiles sont déjà traversées par une verticale, l'angle d'un mur, ce qui présage les fenêtres, les portes de la suite. Les choses viennent petit à petit.

Elles jouent avec la lumière…

Lorsque l'objet était présent, la transparence m'intéressait plus que tout. C'est peut-être par elle que j'ai acquis la lumière. La lumière m'a envahie, se propageant sur les grandes toiles blanches qui furent exposées à Paris en 1961. Les critiques se demandaient où j'allais. Longtemps plus tard, on me réclama les tableaux de cette période. La recherche à laquelle je m'étais attachée, fut comprise bien après. Ces blancs ne sont jamais des blancs : je cherchais à l'intérieur de la toile. J'eus la chance, alors, d'être reconnue par les marchands et les amateurs suisses : cela m'encouragea.

Silvia Baron Supervielle, Un été avec Geneviève Asse, Paris, L'échoppe, 1996, p. 61-62.