Un évènement devient possible — d'une possibilité spécifique — parce que je le projette. La présence de l'homme dans le monde signifie que le possible devance le réel et lui fraye la voie ; une partie du réel est une réalisation volontaire de possibilités anticipées par projet. Pour une conscience entièrement créatrice, le possible serait antérieur au réel qui en procéderait par réalisation, même si l'annulation du délai, ordinairement imputable à un réel importun ou défavorable, devait rendre indiscernable la réalisation de son intention. Mais parce que la volonté est en proie à des nécessités, par le fait primitif de sa situation corporelle, elle est contrainte d'accorder sans cesse ces possibles qu'elle projette avec les possibles qu'elle prévoit, et elle ne peut intégrer ces derniers à sa liberté que par consentement et non plus par projet.
C'est ici qu'un fait nouveau s'ajoute à cette double détermination du possible : ce que je projette n'est possible que si le sentiment de pouvoir donne son élan et sa force à la pure désignation à vide de l'action à faire par moi ; le possible complet qu'ouvre le vouloir, c'est le projet plus le pouvoir.

Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, 1. Le Volontaire et l'Involontaire [1950], Paris, Essais Points, 2009, p. 79-80.