L'idée qu'on se faisait des habitants des banlieues en général n'était pas très loin de la description de l'ouvrier-pomme de terre par Émile Pouget, à la fin du XIXe siècle. L'ouvrier était une pomme de terre, posée à côté d'une autre pomme de terre, et le tout formait un vaste sac à patates. L'habitant des banlieues était cette patate, bourgeonnant jeune tantôt à droite tantôt à gauche, de-ci de-là, inconsciente dans la chaleur et le noir des caves à trafic, abrutie par la réclame et les jeux vidéo. Heureusement, Émile était du côté de ceux qui s'organisent. Il fallait faire autrement bourgeonner ces patates ; on s'y emploierait. La jonction, c'était ça : je t'organise.
Il y avait si longtemps que tous ces mots n'avaient pas été prononcés, et repris, si longtemps que nous étions coupés, que la jonction devait d'abord s'opérer avec eux, en les récrivant, re-disant, bien ronds en bouche, comme un Luchini retourné garçon coiffeur mais acteur. Si longtemps que la transmission avait été coupée qu'il faudrait d'abord passer par une période de calque.

Nathalie Quintane, Tomates, Paris, P.O.L, 2010, p. 80-81.

L'ouvrier-pomme de terre par Émile Pouget, à la fin du XIXe siècle : idée qu'il a reprise à Marx (in Le 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte).
Pouget (Émilie), Pont-de-Salars (Aveyron) le 12 octobre 1860 et mort à Lozère (Palaiseau, Seine-et-Oise) le 21 juillet 1931, révolutionnaire et syndicaliste français. Le 9 mars 1883, alors qu'il mène un cortège de "sans travail" des Invalides vers le boulevard Saint-Germain, trois boulangeries sont pillées. Il est arrêté, place Maubert, alors qu'il tente de soustraire Louise Michel aux policiers. Il est ensuite condamné à huit ans de prison pour "pillage à main armée" et incarcéré entre 1883 et 1886 à la prison de Melun. Le 24 février 1889, il édite un journal pamphlétaire, Le Père Peinard, où il publie de nombreux articles. En 1894, la répression des milieux anarchistes après l'assassinat du président de la République l'oblige à émigrer en Angleterre. Il est amnistié en 1895 et rentre alors en France.

Une période de calque : "Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux mais dans des conditions directement données et héritées du passé […] Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. […]" (Voir annexe p. 128.)