Juste derrière la conserverie, Schiller vit qu'on avait édifié sur la plate-forme de chargement une sorte d'appentis couvert de toile noire, comme une pièce supplémentaire, et il se rendit compte que le peloton d'exécution devait attendre à l'intérieur. Puis la voiture contourna un autre coin du bâtiment et il vit Vern, Moody et Stranger descendre de la voiture les précédant et monter les marches qui menaient à l'entrée. Lorsque ce fut son tour de franchir la porte, Schiller vit du coin de l'œil que Gary était à sa droite, attaché sur un fauteuil. Ce qui le frappa avant même de vraiment regarder, ce fut que l'extrémité de la salle où se trouvait Gary était éclairée, pas de façon éblouissante comme un plateau de cinéma, mais des lumières étaient braquées sur lui alors que le reste de la salle se trouvait dans l'ombre. Il était surélevé sur une petite estrade, un peu comme un scène. Avec le fauteuil aussi en vue, on avait l'impression que c'était plutôt une électrocution qu'une fusillade qui allait avoir lieu.

À mesure que Schiller avançait, au lieu d'entrevoir la nuque de Gary il commençait à apercevoir un profil, et puis il parvint à voir un peu son visage. À ce moment, Gilmore fit signe qu'il l'avait vu et Schiller fit un petit signe de tête en réponse. Ce qu'il remarqua ensuite, ce fut que Gilmore n'était pas attaché très serré sur le fauteuil. Ce fut le premier détail qui le frappa vraiment. Tout était lâche.
Il y avait des courroies qui lui entouraient les bras et les jambes, mais elles avaient au moins trois centimètres de jeu. Il aurait pu se libérer les mains. Puis, comme Schiller continuait d'avancer, il vit une ligne peinte devant lui sur le sol et un fonctionnaire de la prison lui dit : "Restez derrière cette ligne." Alors il fit demi-tour et se trouva face au fauteuil. Maintenant, ayant de nouveau Gilmore sur sa droite, Schiller aperçut sur sa gauche un volet noir avec une fente pratiquée dedans. À sept ou huit mètres de lui et à peu près à la même distance de Gilmore, estima-t-il. Alors seulement, il regarda le condamné.
(…)
Puis, à mesure que son œil de photographe s'habituait à la scène il n'arrivait pas tout à fait à croire ce qu'il observa ensuite. Car le siège du condamné n'était rien d'autre qu'un vieux petit fauteuil de bureau, et derrière il y avait un vieux matelas crasseux étayé par des sacs de sable et le mur de ciment de la conserverie. On avait coincé ce matelas entre le fauteuil et les sacs de sable, un expédient de dernière minute à n'en pas douter comme si, à un moment durant la nuit, on s'était dit que les sacs de sable ne suffisaient pas, que les balles risquaient de les traverser, de heurter le mur et de ricocher. Ce fut le matelas sale qui dégoûta Schiller. Il se dit : "Mon Dieu, et ils ont cousu cette toile noire bien proprement autour des meurtrières dans lesquelles vont passer les fusils des assassins." Il se rendit compte alors du mot qu'il employait.
Quand même, il ne pouvait pas ignorer le contraste entre la préparation méticuleuse du volet et le fauteuil de Gary avec ce rideau de scène improvisé et crasseux. Même les liens qui lui attachaient les bras avaient l'air d'avoir été découpés dans de vieilles sangles.

Norman Mailer, Le chant du bourreau [1979], trad. Jean Rosenthal, Paris, Pavillon poche Robert Laffont, 1980, 2008, p. 1203-1204.