Doris avec sa malle et Sandra avec la sienne : deux filles-à-malle qui déversèrent leurs contenus respectifs sur le carrelage vert du fond de la piscine, si bien que tout se mélangea. Produisant des associations inédites et intéressantes, des combinaisons inattendues. Ceci avec cela, idées, impulsions, choses petites et grandes.
Dans la malle de Sandra il y avait par exemple des cartes d'échantillons de soieries en provenance du Petit Bombay, le cahier où le chien mort de Jane Mansfield, Lupe Velez, Patricia dans la Forêt de Sang et tous les autres menaient leur propre vie entre deux rectangles de carton bleu usé. Il y avait aussi quelques boîtes d'allumettes provenant d'hôtels et de boîtes de nuit de la jet-set, un dé en plastique rempli de confettis argentés. La malle de Doris, beaucoup plus petite et beaucoup moins raffinée que celle de Sandra, contenait des cassettes, Mille inusables tubes pour malades d'amour (l'insupportable musique préférée de Doris), quelques numéros de Tranches de vie (c'était un magazine), quelques livres — Kitty résout une nouvelle énigme, Le Rôle de la femme dans la vie amoureuse, Le Dictionnaire des mots croisés — ainsi qu'une lettre de la maison royale d'Angleterre adressée à D. Flinkenberg, route de Saab. Dans cette lettre, expliqua Doris en long et en large, il était écrit en anglais que le prince Andrew, avec lequel elle avait tenté d'entamer une correspondance, se refusait à correspondre avec quiconque n'appartenait pas à sa famille ou n'était pas, ainsi que le précisait la lettre, "comparable à sa famille". Et ainsi de suite.
La première malle et la seconde malle et tout ce qu'elles contenaient ; point de départ de jeux et d'histoires, d'histoires et de jeux, de jeux qui étaient des histoires, qui occuperaient Doris et Sandra pendant de longues années. Avant d'être transposés progressivement dans une autre réalité.
Monika Fagerholm, La fille américaine [2004], trad. Anna Gibson, Paris, Stock, Le Livre de Poche, 2007, p. 137-138.