C'est ainsi que le savoir-faire artisanal dépérit, ou plutôt qu'il se reproduit sous une forme différente, en tant qu'ingénierie abstraite du procès de travail. La conception du travail est désormais élaborée à distance du travailleur qui l'exécute.
Le management scientifique introduit l'"analyse des temps et du mouvement" pour décrire les capacités physiologiques du corps humain en termes mécaniques. Comme l'écrit H. Braverman, "plus le travail est dirigé en fonction de mouvements types qui s'appliquent également aux travaux les plus variés, au commerce, aux services, etc., plus il dissout ses formes concrètes dans des gestes de travail de type général. Cet exercice mécanique des facultés humaines, selon des types de mouvements qui sont étudiés indépendamment du travail particulier à réaliser, amène à la conception marxiste de "travail abstrait"[1]. L'exemple le plus clair de travail abstrait est ce qui se passe sur la chaîne de montage.
Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail [2009], trad. Marc Saint-Ypéry, Paris, éditions de la Découverte, Poche, 2016, p. 50.
[1] Harry Braverman, Travail et capitalisme monopoliste : la dégradation du travail au XXe siècle, Maspero, Paris, 1976, p. 78.