Cette pluralité de lieux, l'excès qu'elle impose au regard et à la description (comment tout voir ? comment tout dire ?), et l'effet de "dépaysement" qui en résulte (on s'en remettra plus tard, par exemple en commentant la photo qui a fixé l'instant : "Tiens, tu vois, là, c'est moi au pied du Parthénon", mais sur l'instant il arrivait qu'on s'en étonnât : "Qu'est-ce que je suis venu faire ici ?"), introduisent entre le voyageur-spectateur et l'espace du paysage qu'il parcourt ou contemple une rupture qui l'empêche d'y voir un lieu, de s'y retrouver pleinement, même s'il essaie de combler ce vide par les informations multiples et détaillées que lui proposent les guides touristiques… ou les récits de voyage.
Lorsque Michel de Certeau parle du "non-lieu", c'est pour faire allusion à une sorte de qualité négative du lieu, d'une absence du lieu à lui-même que lui impose le nom qui lui est donné. Les noms propres, nous dit-il, imposent au lieu "une injonction venue de l'autre (une histoire…)". Et il est vrai que celui qui, traçant un itinéraire, en énonce les noms n'en connaît pas nécessairement grand-chose.

Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 108.