Observons que ce qui semble inscrire les œuvres dans la durée — en faisant passer au second plan le ou les processus auquel leur existence est subordonnée — paraît lié à la place qu'elles occupent dans l'histoire. D'abord, en ce qu'elles nous semblent en témoigner, comme si elles en portaient la marque ; en ce qu'elles y contribuent, aussi, comme si elles la faisaient ou contribuaient à la faire, et enfin, en ce qu'elles s'inscrivent dans une historicité qui trace un fil entre le passé et le présent, autant que le présent et l'avenir[1]. Cette solidarité de l'art, et de l'histoire a été au cœur de notre vision de l'art comme elle a été au cœur de notre vision de l'histoire. Elle a signifié, entre les productions de l'art, une communauté de principe et d'appartenance traversant les époques : une identité transhistorique, voire intemporelle, autorisant une reconnaissance partagée dans laquelle on croyait pouvoir lire la conscience d'une commune humanité ; elle postulait aussi et surtout, entre elles, une puissance commune d'engendrement dont l'histoire de l'art a recueilli le principe en postulant l'idée d'un devenir commun, se conjuguant à l'histoire humaine en général[2].
Cette vision, que je résume à grands traits, n'est manifestement plus la nôtre ; elle ne peut plus l'être.
Jean-Pierre Cometti, La nouvelle aura, Économies de l'art et de la culture, Paris, Questions théoriques, collection Saggio Casino, 2016, p. 72-73.
[1] Du moins dans une vision de l'histoire orientée vers un futur sur lequel le présent est ouvert. S'il y a une histoire, en ce sens-là, et si elle se fait ou si les hommes la font, ce ne peut être que comme production dans et par ce qu'ils produisent. Que l'art y contribue ou y ait contribué, à la différence de ce qui se dessine dans le "contemporain", n'a donc rien que de très évident, surtout si l'on pense à la haute valeur symbolique dont il jouit.
[2] La philosophie hégélienne de l'Esprit est certainement la construction la plus élaborée de cette idée.