Par l'interphone, le concierge informe Tausk qu'un colis vient de lui arriver : Je peux vous le monter, vous êtes là ? Bien sûr, dit Tausk alors qu'un coup de feu retentit dans le salon. Le concierge ayant remis le colis, Tausk éteint le téléviseur, laisse la mouche se débrouiller seule, va chercher des ciseaux tout en examinant cet emballage : petit Colissimo de type classique, distribution sans signature et sans mention d'expéditeur. Une ligne imprimée grise indique la date et le lieu de l'envoi : avant-hier, bureau de poste Agen Carnot. Ne connaissant ni Agen ni personne à Agen, Tausk soupèse le colis. Très léger, format de jeu de cartes ou de paquet de cigarettes, cela pourrait être un briquet, un bibelot, une paire de boutons de manchette ou une clé USB.
C'est une boîte d'allumettes vidée de ses allumettes et contenant à leur place un mince objet cylindrique, enveloppé dans un linge fixé par un segment de sparadrap. Et une fois déballé sur le plan de travail de la cuisine, cet objet nous a tout l'air d'être un doigt. Un vrai doigt humain : vif recul de Tausk, nausée, regard qui se détourne et léger vertige, mais ne dramatisons pas, ce n'est pas un doigt entier, ce n'est qu'un bout.

Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Paris, Les éditions de minuit, 2016, p. 94-95.