Je me suis assis sur un banc isolé, face à l'océan. Autour de moi, la digue pétée et de vastes pelouses dévastées, virant au jaune. Quelques papiers gras.
Dans la tête, rien, ou presque.
Que du vent. Qui, tout autour, se levait peu à peu, ça se voyait au vol de plus en plus stationnaire des mouettes et goélands, les poubelles de l'espace.
C'est alors que je l'ai vue. De loin. Une silhouette courbée avançant lentement. Un long bâton à la main. Recouverte de hardes, comme une vieille sorcière, celle que les enfants voient arriver, dans les contes, en pleine ornière, toujours au bout d'un chemin bordé de végétation inquiétante. Là, elle apparaissait sur une sorte de lande à la Mathurin Méheut. Normal, on était en Bretagne.
Arrivée, en grinçant, près de moi, elle m'a étudié un court instant et s'est assise. Maigre à faire peur, les joues creusées par le manque de tout, des vêtements amples, sales, sentant mauvais, une drôle d'odeur, un mélange d'ail et de souffre. Elle a déplié un hebdo à la con, a fait semblant de le lire en soufflant dans ma direction. Intenable. J'allais repartir quand elle m'a adressé la parole.
— Ouais, d'accord. Je mange une gousse d'ail tous les matins, je sais, c'est épouvantable pour les autres, mais ça me maintient en vie, d'après mon disconteur…
— Non, non, mais il faut que j'y
— Pour aller où ?
Sa voix de crécelle enrouée. C'était trop. Tout meutche. Comme dans un mauvais film pour enfant autiste. Elle n'a même pas attendu une réponse.
— Qu'y a-t-il de si urgent alors que vous allez vers la fin de votre vie ?
— Je vous demande pardon ?
— Oui, je le sens, je le sais, vous allez mourir bientôt.
— Espèce de vieille folle.
— Vous avez raison, je suis une vielle folle.
— Foutez-moi la paix.
— Je vous la fous, comme vous dites…
Et elle s'est levée.
Elle est partie, courbée, cassée, agitant son gros bâton comme une faux. Tout à coup, j'ai pensé à l'Ankou. Il ne lui manquait qu'un grand chapeau.
Je l'ai observé longtemps, jusqu'à ce qu'elle disparaisse entre deux maisons basses. Remplacée par une corneille qui est montée très haut dans le ciel en lançant d'imprécises imprécations.
Ça n'allait pas fort, je me mettais à avoir des visions, ça s'arrangeait pas.
La vieille peau avait laissé son journal sur le banc. Un numéro de Marianne tout froissé. Que cette sorcière puisse lire ce genre de presse, ça me trouait. J'ai glissé l'hebdo dans ma poche et je suis reparti vers le bourg.

Jean-Bernard Pouy, Ma Zad, Paris, série noire Gallimard, 2018, p. 181-183.