Ce moi, qui demande une nourriture plus spirituelle, reconnaît aussi que la branche la plus importante du secteur productif — je dis bien le secteur de la production, et non celui de la consommation —, donc là ou la division du travail est pratiquée, non pas dans les domaines d'activité des petites entreprises et des professions libérales mais dans les plus importantes entreprises du secteur productif, cette branche, c'est celle des écoles et des universités. C'est là qu'est crée le CAPITAL de la société. Encore une fois : le CAPITAL n'est pas l'argent (moyen de production), le CAPITAL, ce sont les capacités et le produit de ces capacités.
Nous voyons ici apparaître d'autres preuves du concept selon lequel "tout homme est un artiste", qui témoignent du rôle de levier que jouent les capacités humaines. L'argent n'est pas une valeur économique ! Quand le pouvoir de l'argent ne cesse de détruire l'idéal, nous devons nous jeter dans la gueule de ce dragon et y empoigner le concept de capital. Il faut nous battre, d'une manière très concrète, contre le concept de capital. Mais nous le combattons déjà, nous avons bien compris que dans la logique d'un concept de l'art qui décrit tout homme comme un artiste — ce qui est la description la plus digne de l'homme et la plus juste, parce que l'homme est le porteur de la dignité, il est le souverain — que dans cette logique il lui faut attaquer et démasquer le capital : non, ce n'est en aucune manière une valeur économique ! La valeur économique, c'est la capacité de l'homme investie dans le travail et c'est le produit qu'il crée sur son lieu de travail, que ce soit une bonne sculpture, un tableau admirable, une voiture qui ne pollue pas l'environnement, une pomme de terre saine et bonne, un poisson sain que le pêcheur prend dans la mer — plutôt qu'un autre qui est empoisonné, ce qui fait que l'on ne mange pas trop souvent de poisson, parce qu'on pourrait en mourir. Nul besoin, bien sûr, d'adopter cette anxiété, cette hystérie qui marque aussi, souvent, une compréhension sous-développée de l'écologie qu'offre la pusillanimité intellectuelle. Il faudrait être plus courageux, et se dire : l'homme a besoin d'un peu de plomb pour devenir plus lourd.
Joseph Beuys, "Discours sur mon pays" [1985], in Par la présente, je n'appartiens plus à l'art, trad. Olivier Mannoni et Pierre Borasa, Paris, L'arche, 1988, p. 38-39.