L'image du chien est juste : les animaux d'intérieur sont une espèce intermédiaire entre les êtres et les objets. Chiens, chats, oiseaux, tortue ou canari, leur présence pathétique est l'indice d'un échec de la relation humaine et du recours à un univers domestique narcissique, où la subjectivité alors s'accomplit en toute quiétude. Observons au passage que ces animaux ne sont pas sexués (parfois châtrés pour l'usage domestique), ils sont aussi dénués de sexe, quoique vivants, que les objets, c'est à ce prix qu'ils peuvent être affectivement sécurisants c'est au prix d'une castration réelle ou symbolique qu'ils peuvent jouer auprès de leur propriétaire le rôle de régulateur de l'angoisse de castration — rôle que jouent éminemment aussi tous les objets qui nous entourent. Car l'objet, lui, est l'animal domestique parfait. C'est le seul "être" dont les qualités exaltent ma personne au lieu de la restreindre. Au pluriel, les objets sont les seuls existants dont la coexistence est vraiment possible, puisque leurs différences ne les dressent pas les uns contre les autres, comme c'est le cas pour les êtres vivants, mais convergent docilement vers moi et s'additionnent sans difficulté dans la conscience.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 125-126.