Pourquoi ne pas privilégier la dispersion ? Au lieu de vivre dans un lieu unique, en cherchant vraiment à s'y rassembler, pourquoi n'aurait-on pas, éparpillées dans Paris, cinq ou six chambres ? J'irais dormir à Denfert, j'écrirais place Voltaire, j'écouterais de la musique place Clichy, je ferais l'amour à Poterne des peupliers, je mangerais rue de la Tombe-Issoire, je lirais près du parc Monceau, etc. Est-ce plus stupide, en fin de compte, que de mettre tous les marchands de meubles faubourg Saint-Antoine, tous les marchands de verrerie rue du Paradis, tous les tailleurs rue du Sentier, tous les Juifs rue des Rosiers, tous les étudiants au quartier Latin, tous les éditeurs à Saint-Sulpice, tous les médecins dans Harley Street, tous les noirs à Haarlem ?
Georges Perec, Espèces d'espaces, Paris, Éditions Galilée, 1974/2000, p. 116.