Car la nouveauté de la politique qui vient, c'est qu'elle ne sera plus une lutte pour la conquête ou le contrôle de l'État, mais une lutte entre l'État et le non-État (l'humanité), disjonction irrémédiable des singularités quelconques et de l'organisation étatique.
Cela n'a rien à voir avec la simple revendication du sociale contre l'État, qui, récemment, a trouvé une expression dans les mouvements de contestation. Les singularités quelconques ne peuvent former une societas parce qu'elles ne disposent d'aucune identité qu'elles pourraient faire valoir, d'aucun lien d'appartenance qu'elles pourraient faire reconnaître. En dernière instance, en effet, l'État peut reconnaître n'importe quelle revendication d'identité — même (l'histoire des rapports entre l'État et le terrorisme à notre époque en est la confirmation éloquente) celle d'une identité étatique à l'intérieur de lui-même. Mais que des singularités constituent une communauté sans revendiquer une identité, que des hommes co-appartiennent sans une condition d'appartenance représentable (même dans la forme d'un simple présupposé) constitue ce que l'État ne peut en aucun cas tolérer. Car l'État, comme l'a montré Badiou, ne se fonde pas sur un lien social, dont il serait l'expression, mais sur sa dé-liaison, qu'il interdit. Pour lui, ce qui importe ce n'est jamais la singularité comme telle, mais seulement son inclusion dans une identité quelconque (mais que le Quelconque lui-même soit repris sans une identité, cela constitue une menace avec laquelle l'État n'est nullement disposé à composer).

Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, trad. Marilène Raiola, Paris, Seuil, 1990, p. 88-89.