SW — Votre goût pour la production de l'espace est quelque chose que vous partagez avec Martha, elle qui a fait de la production de l'espace — idée qu'elle emprunte au philosophe et surréaliste français Henri Lefebvre — un des piliers de sa pratique. Une bibliothèque est productrice d'espace, génératrice d'imagination, c'est un dispositif de recomposition du désir. Et le désir a constamment besoin de se recomposer. Une bibliothèque est un espace vide rempli d'étagères, et de papier et d'encre. Et plutôt que de se transformer en néant, en absence, en réserve de travail mort (à l'instar de la bibliothèque de Judd), la bibliothèque représente une puissance positive. Je voudrais vous demander quel usage vous avait fait de la Martha Rosler Library, à Ludlow Street, et puis, deux ans plus tard, à Berlin.
AV — La production de l'espace, je l'ai apprise avec Martha. J'ai toujours aimé Lefebvre. Mais c'est elle qui m'a vraiment fait comprendre la signification de la production d'un espace. Dans notre projet, cela fonctionne en même temps à plusieurs niveaux : bibliothèque, exposition, &oeli;uvre d'art, possibilité pour un artiste de devenir intellectuel, potager, école. Mon usage personnel de la bibliothèque a consisté à en faire un point central autour duquel rassembler un certain type de gens afin de susciter des conversations. Certaines lectures, de surcroît, étaient hautement productives : celle de textes sur l'histoire de la révolution française, de la République de Platon, des romans de Philip K. Dick…
Anton Vidokle, "Entretien avec Stephen Wright" in Martha Rosler Library, textes de Marie-Laure Allain, Zahia Rahmani, Martha Rosler, Anton Vidokle, Stephen Wright, Paris, Édition Institut national d'histoire de l'art, 2007, p. 48.