Il existe plusieurs rapprochements entre Ruskin et son élève Morris, mais la différence majeure entre leurs deux visions tient au fait que Morris entend corriger de manière concrète, avec les arts décoratifs, les effets néfastes sur l'environnement naturel et domestique que la révolution industrielle a générés. Morris propose une réorganisation sociale basée sur le modèle de la guilde moyenâgeuse, mais il n'en fait pas une utopie hors du temps comme le fit Ruskin et il l'applique à son entreprise. À l'association entre bonheur et travail, et bonheur par le travail de l'artiste qui crée par plaisir et en tire sa récompense, il ajoute une dimension anticapitaliste et démocratique. Morris puise directement dans les conditions de production du travail une inspiration pour transformer la société britannique malade de ses machines, estimant que ces dernières, à l'unique condition d'être maîtrisées par l'homme, lui permettront d'accomplir de grandes choses. L'apport originel de Morris, qui confère aux arts décoratifs la délicate mission de libérer l'ouvrier de l'avilissement où le mène l'industrialisation et de concourir à l'abolition de la lutte des classes, leur donne également un rôle de levier permettant d'accomplir la métamorphose culturelle de la société. Il leur octroie ainsi une place déterminante aux confluents de l'esthétique et du politique.

Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 62.