Car, finalement, le suicide interrompt brutalement toute dynamique de sujétion et toute éventualité de reconnaissance. Prendre volontairement congé de sa propre existence en se donnant la mort, ce n'est pas forcément disparaître de soi. C'est mettre volontairement fin au risque d'être touché par Autrui et par le monde. C'est procéder à la sorte de désinvestissement qui oblige l'ennemi à faire face à son propre vide. Le suicidé ne souhaite plus communiquer, ni par la parole ni par le geste violent, sauf peut-être au moment où, mettant fin à sa propre vie, il met également un terme à celle de ses cibles. Le tueur se tue et tue en se tuant, ou après avoir tué. En tout cas, il ne cherche plus à participer au monde tel qu'il est. Il se défait de lui-même et, au passage, de quelques ennemis. Ce faisant, il se met en vacances de ce qu'il fut et se déprend des responsabilités qui étaient les siennes en tant que vivant [1].
Achille Mbembe, Politiques de l'inimitié, Paris, La Découverte, 2016, p. 71.
[1] Talal Asad, On Suicide Bombing, Columbia University Press, New York, 2007.