À Paul Gauguin, Arles, le 3 octobre 1888

Mon Cher Gauguin,
[…] Lorsque vous êtes parti de Paris, mon frère et moi y avons encore passé ensemble un temps qui me demeurera toujours inoubliable. Les discussions avaient pris une envergure plus large — avec Guillaumin, avec Pissaro père et fils, avec Seurat que je ne connaissais pas (j'ai visité son atelier juste quelques heures avant mon départ). Dans ces discussions il s'est souvent agi de ce qui nous tient si fort au cœur à mon frère comme à moi, des mesures à prendre pour sauvegarder l'existence matérielle des peintres et de sauvegarder les moyens de production (couleurs, toiles) et de sauvegarder à eux directement leur part dans le prix que ne prennent leurs tableaux actuellement que longtemps après avoir cessé d'être la propriété des artistes.
(…)
Lorsque nous causerons de ces jours étranges de discussions dans les ateliers pauvres et les cafés du petit boulevard et que vous verrez en plein notre conception, celle de mon frère et de moi, qui ne s'est point réalisée en tant que formation d'une société — néanmoins vous verrez qu'elle est telle que tout ce que l'on fera dans la suite pour remédier à l'état terrible de ces dernières années sera ou bien cela même que nous avons dit, ou quelque chose de parallèle à cela. Tant nous avons pris la chose par une base immuable. Et vous admettrez, lorsque vous aurez l'explication entière, que nous sommes allés bien au-delà de ce plan que nous avons déjà communiqué. Que nous ayons été au-delà ce n'est que notre devoir de marchands de tableaux car vous savez peut-être que moi aussi j'ai passé des années dans le commerce et je ne dédaigne pas un métier où j'ai mangé mon pain. […]

Wouter Van Der Veen, Le capital de Van Gogh, Arles, Actes Sud, 2018, p. 90-91.