Ainsi pouvons-nous à présent formuler d'une nouvelle manière la réponse provisoire à la question soulevée par l'ambivalence du lampadaire en direction de l'art. Elle serait en gros la suivante. Si nous nous plaçons du point de vue de l'histoire, le lampadaire vespéral est pour nous du kitsch et le lampadaire matinal le point de départ d'un art d'avant-garde. Si nous nous plaçons du point de vue de la culture de masse, la lampadaire vespéral est pour nous une catharsis et le lampadaire matinal une interruption abjecte de la fête purificatrice. Cette formulation de réponse fait clairement comprendre que le problème de l'art — et par là, plus généralement, de la vie aujourd'hui — ne réside ni dans le producteur ni dans l'œuvre, mais dans le consommateur. Et tel est le sens de l'expression : "société de consommation". Dès lors, voici ce qu'on peut dire — et du même coup, la dialectique de la chose devient tout bonnement effrayante : même si nous nous plaçons sur le terrain de l'histoire, ainsi qu'on l'a dit dans la réponse proposée, nous sommes d'ores et déjà en dehors de l'histoire — du seul fait que nous avons la possibilité de nous placer sur ce terrain au lieu d'y être. Ou encore : même si nous la nions, nous sommes dans la société de consommation.
Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 53.