Considérons cette question des matériaux et des objets par rapport à la matière. Les objets que j'utilise sont toujours conçus précédemment et déjà constitués comme des matériaux ; ils ne sont pas naturels. Depuis le début du siècle, Duchamp et bien d'autres ont établi que le ready-made ou l'objet fait par la main de l'homme peut-être utilisé comme porteur d'informations, et c'est d'ailleurs l'un des principales caractéristiques de l'art moderne. Cela pose un seul problème : nous nous heurtons encore une fois au vieux problème de nomination. Duchamp en réalité ne nous dit rien de ses objets… il se contente de les nommer. L'important est peut-être la façon dont les matériaux déjà occupés par une série d'informations sont placés dans la situation ambigüe de pouvoir être utilisés pour autre chose. Nos relations à tous les matériaux naturels (bois, pierre, feu…) et aux objets faits à partir d'eux remontent peut-être à des millions d'années. Nous les dotons d'une sorte de contenu poétique, riche d'histoire et de mythologie. Je vois un matériau ou un objet comme entouré d'une bulle d'informations. Des matériaux tels que le bois ont déjà une bulle très occupée. Les objets de notre société industrielle n'ont encore que bien peu d'informations qui leur soient rattachés, de sorte que même si quelque chose comme du plastique peut être accepté comme un matériau valable à utiliser, il reste très inoccupé. Il y a beaucoup à y faire pour créer une mythologie de ce matériau, par delà sa valeur purement pratique et utilitaire.

Interview de Tony Cragg par Jacinto Lageira in Tony Cragg, Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart / Centre d'art contemporain du Domaine de Kerguéhennec, 1992, p. 18.