L'influence de Fedler, elle, est plus facile à déceler, car il produisit entre 1870 environ et 1890 une série d'écrits importants qui comptent aujourd'hui parmi les textes fondamentaux de l'histoire de l'art moderne[1]. L'étude de Kant et de Schopenhauer, d'une part, celle de la psychologie de la perception, d'autre part, le conduisirent à dissocier le monde de la "cognition" artistique et la nature accidentelle qui nous entoure, distinction qui jetait les bases d'une théorie de la vision artistique pure. Hildebrand reprit les choses là où Fiedler les avait laissées et chercha à élaborer une phénoménologie de la forme.
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Hildebrand commence par distinguer deux modes de vision : la vision lointaine et la vision proche. La vision lointaine est le langage de l'art, parce qu'elle donne un ensemble une impression simultanée. La vision proche ne révèle que des parties d'objets, objets qui ne sont perçus que d'une manière successive par le mouvement des yeux. Distinction à laquelle il en ajoute une autre, entre ce qu'il appelle "forme réelle" (Daseinform) et "forme apparente" (Escheinungsform). La forme réelle d'un objet est indépendante de son apparence changeante, tandis que la forme apparente dépend de nombreux aspects variables tels que la couleur, la lumière, l'environnement et le point de vue. C'est cette seconde forme que vise l'artiste.

Rudolf Wittkower, Qu'est-ce que la sculpture ? [1977], trad. Béatrice Bonne, Paris, Macula, 1995, p. 271.

[1] Sur Fedler et son influence, lire Philippe Junod, Transparence et opacité, Essai sur les fondements théoriques de l'art moderne, Lausanne, L'âge d'homme, 1976. On trouvera des textes de Fedler et de Hildebrand dans l'anthologie rassemblée par Roberto Salvini, Pure visibilité et formalisme dans la critique d'art au début du Xxe siècle, Paris, Klincksieck, 1988. (N. d. T.)