Mon monde à moi est un monde dont la plus forte réalité est l'ambiguïté et le paradoxe directs, un changement de sens léger mais continuel. Ma sculpture est faite pour qu'on prenne conscience de ce paradoxe mineur ; pour qu'on prenne conscience que chaque lieu spécifique existant est en fait déjà défini par l'absence de cette sculpture ; pour qu'on prenne conscience de la présence historique d'un lieu particulier que ma sculpture viendra détruire. Je place chaque sculpture (je le dois) où elle ne peut jamais être réellement. Car je la place de manière spécifique pour changer ce lieu physique en un autre lieu physique qui contienne pourtant le souvenir — le fantôme — du lieu premier et tout différent. Je place ma sculpture pour créer un lieu impensable avant qu'elle n'y soit. Je ne l'y installe pas ; il n'y a plus de site où elle puisse être installée. En fait, je la place pour la couper effectivement du monde donné. Je la place pour évoquer un lieu réel nouveau. Je ne peux l'installer ; le seul site qui puisse lui être spécifique est le site qu'elle crée.
Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 37.