Il y a dans l'art, aussi bien que dans la vie, deux approches fondamentales : l'identification et la communication. L'identification est l'approche proposée aussi par les mass médias ; on peut la sentir on ne pas la sentir, et dans une relation, elle constitue le terme passif de la dialectique passion-action. Par contre, dans la communication, il y a une intentionalité directe qui peut aboutir au changement réciproque. Chacun vit l'adolescence comme une période de passage où l'identification est l'expérience fondamentale. Puis, à mesure que sa subjectivité s'affermit, le besoin d'identification se réduit. Nous raisonnons davantage avec notre tête et c'est en étant pleinement autonomes que nous cherchons le rapport avec autrui. Il va de soi que les mêmes modalités intersubjectives régissent aussi les rapports des autres avec nous. Lacan affirme que l'enfant, s'étant rendu compte qu'il ne peut pas posséder sa mère, dirige son désir sur un objet. Cet objet est le prototype de la création artistique, appelé à remplacer un amour rendu impossible par le conflit avec le père. Mais tout ceci, loin de correspondre à la nature ontologique de l'homme, n'est qu'un mécanisme psychologique de notre culture spécifique. Pour ma part, j'ai une autre conception existentielle. Selon moi, il y a le moment où l'on tombe amoureux qui, tout important qu'il soit, n'est qu'une phase d'un processus communicatif fondé sur la réciprocité et sur l'interaction consciente. Je vois donc que personne n'est jamais totalement réalisé, n'est jamais achevé. Il faut vérifier continuellement sa propre personnalité ; cependant, si l'on est disponible pour communiquer, cela ne signifie pas que l'on est disponible pour s'identifier continuellement, mais pour modifier dans un sens historique sa propre identité. Il est merveilleux de tomber amoureux, mais il y a une suite, qu'il faut vivre si on veut vraiment aimer.
Le discours sur la subjectivité peut progresser si on renonce au jeu des perpétuels coups de foudre amoureux, qui ne font que différer le moment où l'on se transforme vraiment en se rendant disponible pour le devenir, grâce à une mutation dialectique, mais aussi structurelle, de sa propre identité. En substance, il arrive un moment où pour communiquer il faut savoir se transformer et où pour se transformer il faut aussi mourir, dans le sens où une partie de nous meurt pour permettre à une autre partie de naître. C'est douloureux, mais nécessaire, voire indispensable.

Piero Gilardi, "Interview pour Juliet", Turin, 1986, Texte paru dans Juliet n°40, Trieste, 1986, in Not for sale, À la recherche de l'art relationnel 1982-2000, Dijon, Les presses du réel, 2002, p. 58.