Elle se leva et disparut à l'intérieur. J'ôtai mes gants et les jetai à la poubelle en pensant à l'automne qui déclinait, à l'hiver qui allait s'installer et me compliquer la tâche quand la température descendrait au-dessous de zéro. J'avais un rose qui, l'an passé, avait très nettement coagulé et produit des bulles après une exposition en plein air sur la terrasse d'un jeune collectionneur norvégien — j'avais fait le voyage et pratiqué des injections de cyanoacrylate, ce qui m'avait amené, entre autres, à refuser, ces derniers temps, une quelconque garantie de quoi que ce soit concernant mes œuvres, et bien m'en prenait si j'en jugeais la recrudescence des incidents qui se produisaient ici et là et donnaient le sentiment que mon travail s'autodétruisait, tombait tragiquement en poussière, de plus en plus vite, et que bientôt il n'en resterait rien ainsi que m'en avait averti cette cliente que j'avais envoyé promener une semaine plus tôt. Le monde se transformait vite. Nous n'avions guère de visibilité.

Philippe Djian, Vengeances, Paris, Gallimard, 2011, p. 78.