Taleb Larbi voulait contourner le camp, car il craignait que des soldats français y soient encore et qu'ils nous y attendent. Cela ne m'arrangeait pas ; j'aurais voulu passer par le camp pour y prendre mon ceinturon et mon bidon, s'ils s'y trouvaient toujours. Je tenais beaucoup à mon bidon : j'étais un des seuls à en avoir un ; les autres avaient des bidons d'huile d'auto de deux litres, enveloppés de toile de sac.
Je fis demander par Salem à Taleb s'il voulait bien m'attendre. "Dis leur que j'en ai pour dix minutes." On me répondit que c'était risqué, mais que, si je tenais à y aller, ils m'attendraient. Mohammed et quelques autres s'offrirent à m'accompagner. J'emmenai seulement Mohammed.
Nous nous approchâmes prudemment, allant de rocher en rocher, nous arrêtant souvent pour regarder et surtout pour écouter. Près de la mare, sur le sol, quelque chose brillait sous la lune. Il fallut que je sois tout près pour voir que c'étaient des boîtes de conserves et des rations éventrées. Les français avaient campé là après nous. J'allai près de la roche où j'avais laissé mon ceinturon : comme je m'y attendais, il n'y était plus. Sur le sable humide, je remarquai des empreintes de chien.
Noël Favrelière, Le désert à l'aube, Paris, Les éditions de Minuit, 1960/2000, p. 158-159.