Si elle a consulté au préalable un bon site sur la Toile, Petite Poucette, nom de code pour l'étudiante, le patient, l'ouvrier, l'employée, l'administré, le voyageur, l'électrice, le senior ou l'ado, que dis-je, l'enfant, le consommateur, bref, l'anonyme de la place publique, celui que l'on nommait citoyenne ou citoyen, peut en savoir autant ou plus, sur le sujet traité, la décision à prendre, l'information annoncée, le soin de soi… qu'un maître, un directeur, un journaliste, un responsable, un grand patron, un élu, un président même, tous emportés au pinacle du spectacle et préoccupés de gloire. Combien d'oncologues avouent avoir plus appris sur les blogs des femmes atteintes d'un cancer du sein que dans leurs années de faculté ? Les spécialistes d'histoire naturelle ne peuvent plus ignorer ce que disent, en ligne, les fermiers australiens sur les mœurs des scorpions ou les guides des parcs pyrénéens sur le déplacement des isards. Le partage symétrise l'enseignement, les soins, le travail ; l'écoute accompagner le discours ; le retournement du vieil iceberg favorise une circulation à double entente. Le collectif, dont le caractère virtuel se cachait, peureux, sous la mort monumentale, laisse la place au connectif, virtuel vraiment.
Michel Serres, Petite poucette, Paris, Le Pommier, 2012, p. 64-65.