Que ça nous plaise ou non, Éden-Olympia est le visage de l'avenir. Il y a déjà des centaines de parcs d'affaires et de technopoles dans le monde entier. La plupart d'entre nous — du moins les spécialistes les plus qualifiés — allons y passer toute notre vie. Mais tous souffrent du même défaut.
— Trop de loisirs ?
— Non. Trop de travail." Penrose plia les bras et les reposa sur ses genoux. "Le travail occupe toute la vie d'Éden-Olympia et chasse tout le reste. Le rêve d'une société des loisirs a été la grande illusion du XXe siècle. Le travail est le nouveau loisir. Les gens talentueux et ambitieux travaillent plus dur que jamais, et plus longtemps. Ils ne se réalisent que par le travail. Les hommes et les femmes qui dirigent les entreprises florissantes ont besoin de concentrer toute leur énergie à la tâche devant eux, chaque minute de la journée. Ils n'ont surtout pas envie de distractions.
— L'esprit actif n'a jamais besoin de repos ? C'est difficile à accepter.
— Et pourtant. Le travail créatif est sa propre distraction. Si on élabore le brevet d'un nouveau gène ou que l'on dessine une cathédrale à São Paulo, pourquoi perdre son temps à frapper une balle au-dessus d'un filet ?
— Nos enfants font ça pour nous ?
— À supposer que vous ayez des enfants. Malheureusement, la cité d'affaires aujourd'hui est adulte, bourrée de talent, mais pratiquement sans enfants. Regardez autour de vous à Éden-Olympia. Pas d'activités de loisirs, pas de vie communautaire ou de réunions sociales. À combien de réceptions avez-vous été invité ces quatre derniers mois ?
— Je ne me souviens pas exactement. Très peu.
— Quasiment aucune, si vous réfléchissez bien. À Éden-Olympia, on n'a pas le temps de se soûler ensemble ou de se disputer avec sa petite amie, pas de temps pour les aventures adultères ou pour convoiter la femme de son voisin, pas de temps même pour les amis. Pas d'énergie disponible pour la colère, la jalousie, les préjugés raciaux et les réflexions plus responsables que ces sentiments inspirent. Il n'existe aucune des tensions sociales qui nous obligent à reconnaître les forces et les faiblesses des autres, nos obligations ou notre dépendance à leur égard. Nulle interaction d'aucune sorte à Éden-Olympia, aucun des échanges émotionnels qui nous donnent le sentiment de notre identité.
James Graham Ballard, Super-Cannes [2000], trad. Philippe Delamare, Auch, Tristram Souple, 2015, p. 302-304.