Dans son livre The Mind at Work, Mike Rose nous offre une "biographie cognitive" de plusieurs métiers et décrit le processus d'apprentissage tel qu'il a lieu dans un atelier de menuiserie. D'après lui, "nos éloges du travail manuel renvoient le plus souvent aux valeurs qu'il est censé incarner et non pas à l'effort de pensée qu'il requiert. Il s'agit là d'une omission subtile mais systématique… Tout se passe comme si, dans l'iconographie de notre culture, ce qui prévalait était l'image du bras musclé et des manches retroussées sur des biceps généreux, mais jamais celle de la lueur d'intelligence qui brille dans un regard, jamais celle du lien entre la main et le cerveau[1]".
Le travail manuel qualifié suppose un engagement systématique avec le monde matériel, soit justement le même type d'approche qui donne naissance aux sciences naturelles. Dès la plus haute Antiquité, le savoir artisanal a impliqué une connaissance des "façons d'être" du matériau employé — une connaissance de sa nature qui ne s'acquiert qu'à travers une véritable discipline de la perception. À l'aube de la tradition occidentale, pour Homère, sophia (la sagesse) avait aussi le sens de "talent, aptitude, compétence" (skill) : il pouvait s'agir de l'habileté technique d'un menuisier, par exemple.
Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail [2009], trad. Marc Saint-Ypéry, Paris, éditions de la Découverte, Poche, 2016, p. 29.
[1] Mike Rose, The Mind at Work : Valuing the Intelligence of the American Worker, Penguin Books, New York, 2005, p. XIII.