C'est précisément un tel schéma que les développements technologiques qui entrent aujourd'hui dans la fabrication de l'art, au sens le plus général du terme, tendent à rendre caduc, et que Benjamin avait parfaitement diagnostiqué au titre de ce qu'il associait à l'idée de masse. Benjamin évoquait aussi la "théologie" liée à la "valeur unique de l'œuvre d'art unique", ainsi que la théologie négative qui s'exprime dans l'"art pur". Comme nous avons déjà amplement commencé à l'entrevoir, nous avons affaire aujourd'hui à une autre théologie dont les corrélats, sans être intégralement autres, passent par une nouvelle aura, liée à ce que d'aucuns rapporteraient au spectacle, mais qui semble paradoxalement dépendre d'une fonction généralisée de reproduction et d'exposabilité étroitement associée à la production[1]. L'aura particulière qui s'attache aux productions d'Andy Warhol en constitue l'exemple. Avec Warhol, le monde de l'art n'est pas seulement passé à l'âge de l'interprétation[2]" ; il est entré dans une phase où le multiple, le reproductible, le disponible, l'exposable possèdent leur aura, liée à la valeur qu'ils prennent, de ce fait, à nos yeux.
Jean-Pierre Cometti, La nouvelle aura, Économies de l'art et de la culture, Paris, Questions théoriques, collection Saggio Casino, 2016, p. 158.
[1] On se souviendra, bien entendu, que Benjamin en a bien perçu le principe à propos de la photographie et du cinéma : "La reproductibilité technique des films est inhérente à la technique même de leur production", Walter Benjamin, "L'œuvre d'art à l'âge de sa reproductibilité technique", trad. fr. R. Rochlitz, Walter Benjamin, Oeuvres I, Gallimard, "Folios essais", 2000, p. 78.
[2] Dans l'analyse qu'en offre Arthur Danto depuis La Transfiguration du banal, trad. fr. Cl. Hary-Schaeffer, Le Seuil, 1989.