Couleurs, substances, volumes, espaces, ce "discours d'ambiance" affect en même temps tous les éléments dans un grand remaniement systématique : c'est parce que les meubles sont devenus éléments mobiles dans un espace décentralisé, c'est parce qu'ils ont une structure légère d'assemblage et de placage qu'ils requièrent en même temps des bois plus "abstraits" : teck, acajou, palissandre ou bois scandinave[1]. Et il se trouve que la couleur de ces bois n'est plus aussi celle traditionnelle du bois, mais apparaît dans des variantes plus claires, plus sombres, souvent vernies, laquées ou volontairement "brutes" peu importe : la couleur comme le matériau sont abstraits et l'objet d'une manipulation mentale, en même temps que le reste. Tout l'environnement moderne passe ainsi en bloc au niveau du système de signes : l'AMBIANCE, qui ne résulte plus du traitement particulier d'un des éléments. Ni de sa beauté ni de sa laideur. Ceci valait pour le système incohérent et subjectif des goûts et des couleurs, dont "on ne discute pas". Dans le système cohérent actuel, c'est au niveau des contraintes d'abstraction et d'association que se situe la réussite d'un ensemble. Que vous aimiez le bois de teck ou non, il faut admettre qu'il y a cohérence de ce bois de teck à l'organisation par éléments, cohérence de la teinte du teck à la surface plane, donc aussi à un certain "rythme" de l'espace, etc., et que c'est là la loi du système.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 54-55.
[1] Bois techniquement mieux adaptés au placage et à l'assemblage que le chêne : certes. Il faut dire aussi que l'exotisme joue ici le même rôle que le concept de vacances dans les couleurs vives : un mythe d'évasion naturelle. Mais au fond, l'essentiel est qu'à cause de tout cela, ces bois soient des bois "seconds", qui portent en eux une abstraction culturelle, et puissent ainsi obéir à la logique du système.