En même temps que par sa complexité culturelle, c'est par le manque, l'inachèvement que la collection s'arrache à l'accumulation pure. Le manque est toujours en effet une exigence définie, celle de tel ou tel objet absent. Et cette exigence, se traduisant comme recherche, passion, message aux autres [1], suffit à briser l'enchantement mortel de la collection, où le sujet s'abîme en fascination pure. Une émission télévisée illustrait assez bien ceci : en même temps que chaque collectionneur y présentait au public sa collection, il mentionnait l'"objet" très particulier qui lui manquait, chacun étant invité à le lui procurer. Ainsi l'objet peut-il introduire à un discours social. Mais du même coup il faut se rendre à l'évidence : c'est rarement la présence, et plus souvent l'absence de l'objet qui y introduit.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 148-149.
[1] Cependant, même dans ce cas, le collectionneur a tendance à ne requérir les autres que comme témoins de sa collection et à les intégrer seulement comme tiers dans la relation déjà constituée du sujet et de l'objet.