Il l'y conduisit donc, sur l'îlot du Grand Pardon. Il l'attacha au cou d'un licol, sinon d'un garot. Aignan s'adonna à la contrition. Un humus nourrissant qui suintait la nuit d'un trou du roc constitua à jamais son pain diurnal. Il fut soumis aux ouragans, aux aquilons, au mistral glacial, au brûlant khamsin, au tourbillonnant sirocco. Il fut soumis au raz, aux typhons. Puis son haillon pourrit ainsi qu'un amadou racorni. Il fut nu. Il avait froid, il avait chaud ; il glaçait, il rôtissait.
Puis, sous-nutri, mal nutri, nonobstant l'amical humus qu'Il lui donnait sans Sa compassion, il finit par maigrir : il maigrit, il continua à maigrir. Il fut maigrichon. Il s'obstina à maigrir. Il maigrit tant qu'il diminua, Qu'il raccourcit. Il s'amoindrit ; d'abord il fut moins haut qu'un nain, puis, à la fin, un vrai homunculus, un diminutif, un humain pas plus gros qu'un oursin…
Georges Perec, La disparition [1969], Paris, L'imaginaire Gallimard, 2017, p. 48-49.