Le spectacle, toutefois, ne coïncide pas simplement avec la sphère des images ou avec ce que nous appelons aujourd'hui media ; il constitue "un rapport social entre des personnages, médiatisé par des images", l'expropriations et l'aliénation de la société humaine elle-même. Ou plutôt, selon une formule lapidaire : "le spectacle est le capital parvenu à un tel degré d'accumulation qu'il devient image." Mais, dès lors, le spectacle n'est plus que la pure forme de la séparation : là où le monde réel s'est transformé en une image et où les images deviennent réelles, la puissance pratique de l'homme se détache d'elle-même et se présente comme un monde en soi. C'est dans la figure de ce monde séparé et organisé à travers les media, où les formes de l'État et de l'économie se compénètrent, que l'économie marchande accède à un statut de souveraineté absolue et irresponsable sur la vie sociale tout entière. Après avoir falsifié l'ensemble de la production, elle peut manipuler à présent la perception collective et s'emparer de la mémoire et de la communication sociale, pour les transformer en une unique marchandise spectaculaire, où tout peut être remise en question, sauf le spectacle même qui, en soi, ne dit rien d'autre que : "Ce qui apparaît est bon, et ce qui est bon apparaît."
Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, trad. Marilène Raiola, Paris, Seuil, 1990, p. 81.