L'organisation de mon travail ? Je l'ai décrite dans Les Pierres sauvages. C'est-à-dire que je me suis mis dans la peau du maître d'œuvre du XIIe siècle et à travers l'œuvre, j'ai à ma manière trouvé le phénomène d'invention. Quand j'ai un programme et un terrain, je procède par réflexion. Il faut un programme et un terrain. Ce terrain me donne le climat, me fournit tout ce que l'on définit maintenant d'une façon très savante mais que l'on ressent quand on n'est pas savant. J'en trouve les avantages. Je sens la qualité de l'air. Je sens l'humidité, le vent l'endroit où tourne le soleil. Quand on parle de climatologie, cela me fait un peu sourire parce que la climatologie c'est tellement élémentaire. Les paysans savent très bien faire cela et mettent toujours la maison au bon endroit ; pourtant, ils n'ont pas de lettres. Donc, quand j'ai un terrain et un programme, et bien ! J'essaie de marcher, de m'éloigner, de revenir, de tourner autour en imagination parce que je n'ai plus besoin de les voir. J'y retourne une fois, deux fois, je me promène pendant des semaines, des nuits. La nuit, quand je me réveille, j'ai une insomnie et tel sujet me vient ; peu à peu j'arrive à me faire une idée d'une forme. Cette forme vient comme ça, et je ne commence à dessiner que lorsque c'est pratiquement fini. Je ne dessine pas avant. Je trouve que ce serait inutile. Je préfère avoir vingt projets à la fois dans la tête et que cela me fatigue ; j'aime vivre ces projets. Je travaille en voiture, je travaille en avion. C'est exaltant d'être en avion parce qu'on manque un peu d'air et que cela donne des idées que l'on n'a pas au ras du sol, qu'on a pas dans un climat humide. Et ensuite, il y a la nuit et aussi la voiture, l'impression, le bruit, une espèce de tressautement. En fermant les yeux à demi, on peut pénétrer dans un sujet et puis marcher dedans. Je ne suis pas du tout étonné par ce que je fais, et je sais que ce sera toujours comme cela. J'ai marché longtemps ; je sais marcher, je suis un de ceux qui savent marcher. Je suis obligé de le dire parce que c'est vrai. Vous pouvez marcher dans tout ce que j'ai fait. Vous verrez que l'on a marché préalablement. On s'est promené, on a réfléchi ; le côté pensif dans toutes ces choses. Ce ne sont peut-être pas des chefs-d'œuvre ; je ne suis peut-être pas un grand architecte. On me dit quelquefois que j'ai du génie ; cela me gêne. Le mot maître m'embête. Je suis un praticien. J'aime marcher.
Hélène Roy "Entretien avec Fernand Pouillon", Vie des arts, n°88, automne 1977, Montréal, in Fernand Pouillon, Mon Ambition, Saint-André de Roquerpertuis, éditions du Linteau, 2011, p. 113-114.