Pour décrire sa démarche, on ne peut faire mieux que de la comparer à un barbotage, à la fois hardi et sensuel : comme si, enfoncée jusqu'au nez dans les congères, elle se fût néanmoins hâtée à la rencontre d'un amant. Elle parvint au centre géométrique du mail, son manteau gris soulevé parfois par la brise qui soufflait de la côte de Jersey. À chaque pas, ses talons hauts frappaient, dur et sec, les X du grillage, au milieu du mail. Six mois de vie dans la grand-ville lui avaient au moins enseigné cela. Elle avait, au cours de cet apprentissage, perdu quelques talons et même la face mais, maintenant, elle pouvait réaliser cette performance les yeux bandés. D'ailleurs, si elle marchait sur ce grillage, c'était exclusivement pour épater. Pour s'épater.

Thomas Pynchon, V. [1961-63], trad. Minnie Danzas, Paris, Seuil Points, 1985, p. 53.