La vieille femme donne une définition de la misère (par le critère de la saleté) d'une efficacité telle qu'elle se supprime en tant qu'être communautaire, en tant que personne digne d'être arrêtée, digne d'acquérir ce droit fondamental d'être jugée par les autres. La vieille femme, pauvre, ou se décrivant comme telle, d'une certaine façon n'existe plus du point de vue de l'argent. Partant de ce constat, Bloch n'a plus qu'à tirer les ficelles de sa dialectique. N'existent véritablement, aux yeux de la communauté, que les détenteurs de richesses. La véritable pauvreté, reconnue et justifiée comme telle, échappe à toute forme de reconnaissance, ce qui pose la question de la consistance sociale du corps imbibé et vociférant de la vieille femme. Il faut imaginer les souffles, les soupirs, les éructations qui portent ces paroles. Ils détruisent simultanément son corps communautaire, c'est-à-dire cette allure générale, cette tenue, cette image, un aspect physique qui ne suscite pas l'inquiétude des autres, des corps rendus identiques par le critère de ne pas être inquiétant. Les mots désagrègent le corps qui les prononce. Ils le liquéfient et finalement, opèrent un déclassement par le dévoilement du corps organique, à savoir le corps tel qu'il apparaît chez certains malades, chez les délirants, chez certains vieillards, chez certains toxicomanes et chez tous ceux qui se sont un jour montrés incapables d'adopter les apparats du rang communautaire. Le corps, ainsi réduit, ne peut plus se suffire à lui-même. Il a besoin d'une assistance que ne peut lui offrir la communauté. C'est une rupture qui ordonne fondamentalement l'effacement de la personne.
Éric Chauvier, Anthropologie, Paris, Allia, 2006, p. 50-52.