Les trois membres de cette "famille" illustrent spectaculairement les systèmes d'adaptation complexes qui ont fait de "nous" des humains. Les éléments du mode de vie partagé sont aisément identifiables. Le mâle marche devant à grands pas, portant un outil commode à tout faire, sans avoir naturellement l'élégance des projectiles à venir, indispensables à la chasse autant qu'au film de Stanley Kubrick 2001 : l'Odyssée de l'espace. Ce brave Australopithecus afarensis avait encore à acquérir une tête un peu plus volumineuse avant d'améliorer le sens esthétique de ses outils de subsistance. Les universaux antiracistes de l'évolution écrite selon les doctrines humanistes ont mis en place les fondamentaux durables de la division sexuelle du travail : familles hétérosexuelles dirigées par les mâles, et femmes chargées d'enfants — ici représentées sans le "porte-bébé" dont beaucoup d'anthropologues pensent qu'il a vraisemblablement été l'un des tout premiers outils de l'humanité. Dans l'imagination académique de Matternes, la famille porteuse d'enfant suit le mouvement, en regardant craintivement de côté, tandis que l'homme dirige la marche, le regard tourné vers l'avenir. Pour le peintre ou pour ses commanditaires, le germe de la socialité ne pouvait être qu'un couple accompagné de sa progéniture, non un groupe mélangé en quête de nourriture, ou un groupe de femmes apparentées avec leurs enfants, ou deux homme dont l'un aurait porté un enfant, ou n'importe quelle autre des possibilité imaginables à partir des petites traces d'humanité laissées dans la poussière volcanique de Laetoli[1].
Donna Haraway, "La race : donneurs universels dans une culture vampirique. Tout est dans la famille : les catégories biologiques de filiation dans les États-Unis du XXe siècle" in Manifeste cyborg et autres essais, trad. Nathalie Magnan, Paris, Exils éditeur, 2007, p. 260.
[1] Le débat actuel sur l'origine de l'Homo sapiens moderne représente un nouvel effort pour retrouver les parcours de l'humanité, avec l'Afrique au centre de la controverse. Depuis la fin des années quatre-vingt, les principales hypothèses sont à l'origine multirégionale, fondée sur les analyses de l'ADN mitochondrial, hypothèses avancées pour signifier que le plus récent des ancêtres communs à toute l'espèce humaine est une petite femelle qui vivait en Afrique il y a environ 112 000 ans (Gibbons Ann, "Out of Africa at Last ?", Science, n° 267, 3 mars 1995, p. 1272-73). Le sperme ne donne aucune mitochondrie (organite cytoplasmique de la cellule) à la cellule ovulaire fertilisée, de sorte que l'ADN mitochondrial n'est transmis que par la lignée femelle. Les changements génétiques s'accumulent avec le temps, étalonnant ainsi une sorte de calendrier biologique. L'ADN mitochondrial des populations prélevées en Afrique — elle-même continent immense — montre le plus grand nombre de variations, comparé à tous les autres ADN de même type étudiés chez les populations modernes vivant dans les principales zones géographiques. Ce fait aurait dû donner un coup d'arrêt à tous les arguments génétiques généralisant sur les populations d'ascendance africaine, y compris l'idée que les races modernes ont une importante signification génétique — si tant est qu'ils en aient une, et que ce genre de rappel soit nécessaire pour rester sceptique envers les prétentions selon lesquelles les fondements génétiques justifient les classifications racistes contemporaines. Il conviendrait d'avoir ce problème bien présent à l'esprit pour traiter les revendications résurgentes sur l'héritabilité du Q.I. et l'association des différences de Q.I avec les groupes ethniques et raciaux. Le battage entourant la publication de The Bell Curve est, sur ce point, la controverse la plus récente la plus importante (voir Herrnstein Richard et Murray Charles, The Bell Curve : Intelligence and Class Structure in American Life, New York, The Free Press, 1994 ; Jacoby Russel et Glauberman Naomi (eds.), The Bell Curve Debate : History, Documents, Opinions, New York, Time Books/Random House, 1995). Le fait que le plus grand réservoir de variations humaines existe en Afrique aurait dû faire réfléchir les organisateurs de bases de données génétiques sur l'ADN nucléique humain à un meilleur développement des critères de références composites pour l'espèce. En montrant à quel point l'idée de race est encore ancrée dans l'anthropologie physique, Brendan Brisker, étudiant en troisième cycle à l'Anthropology Board de l'université de Califormie, à Santa Cruz, a analysé l'usage involontaire des typologies raciales dans les procédures d'échantillonnage géographqiue et des les débats accompagnant les premières études paléoanthropologiques de l'ADN mitochondrial, Brisker Bendan, Rooting the Tree of Race : mtDNA nad the Origins of Homo sapiens, Manuscrit inédit, Anthropology Board, University of Santa Cruz, 1995. En novembre 1994, un numéro spécial de Discover esquissait le renouvellement des débats des années 1990 sur la réalité scientifique de la race ; cette même année, Lawrence Bright décrit la controverse sur les typologies raciales intégrées au recensement états-unien, qui ne reflète aucunement les multiples catégories et mélanges raciaux et géographiques revendiqués par les populations.