Les autres.
J'ai tapé leurs noms et prénoms sur les Pages blanches de l'ordinateur. Ceux des garçons d'abord. Pour les noms très répandus, la multiplicité des occurrences avec le même prénom équivalait à aucune. Nul indice pour savoir lequel parmi ces Jacques R était à la colonie l'été 1958. Leur identité était dissoute dans la masse. Quelques noms domiciliés en Basse-Normandie m'ont convaincue, peut-être à tort, d'avoir affaire à ceux dont je me rappelais qu'ils y vivaient déjà en 1958. Ainsi ils n'avaient jamais migré hors du territoire de leur jeunesse. Cette découverte m'a troublée. C'était comme s'ils étaient restés les mêmes de s'être arrimés à un endroit, que leur identité géographique soit garante de la permanence de leur être.
Annie Ernaux, Mémoire de fille, Paris, Gallimard, 2016, p. 36.