Je les regardais, je les entendais. J'ai senti qu'il se passait quelque chose d'étrange, sans pouvoir m'expliquer quoi. J'étais indigné par cette canaille ridicule.
— Si je vous disais tout ce que je cherche…
— Est-ce que je vous insulterais ?
— Ou bien nous nous comprendrions. Le délai est court ; trois jours. C'est un bien grand malheur de ne pas nous entendre.
Avec lenteur dans ma conscience, mais très ponctuellement dans la réalité, les paroles et les mouvements de Faustine et du barbu coïncidèrent avec leurs paroles et leurs mouvements d'il y a huit jours. L'atroce éternel retour. La coïncidence cependant n'était point parfaite : mon jardin et, mutilé la dernière fois sous les pas de Morel, est aujourd'hui un champ boueux, couvert de vestiges de fleurs mortes, écrasées contre le sol.
Sur le moment, je me sentis content de moi. Je crus avoir fait cette découverte : il doit y avoir dans nos activités des répétitions constantes et inattendues. Une occasion favorable m'avait permis de l'observer. Il nous est rarement donné d'être le témoin clandestin de plusieurs entrevues entre les mêmes personnes. Dans la vie, comme au théâtre, les scènes se répètent.

Adolfo Bioy Casares, L'invention de Morel, trad. Armand Pierhal, Paris, Robert Laffont 10/18, 1973, p. 45.