En d'autres termes, nous pouvons observer partout aussi bien qu'en nous-mêmes comment les canalisations que créa une culture de production victorienne afin de faire disparaître dans les sous-sols ce que l'on jetait à la poubelle, aujourd'hui, dans notre culture de consommation, débordent et inondent l'environnement de leur ordure physique et psychique. Non pas à la manière d'une catastrophe, du fait d'un défaut dans les canalisations, comme ce fut par exemple le cas du flot nazi, mais en pénétrant sans cesse dans le domaine culturel, du fait de la saturation créée par la surconsommation. Aucune amélioration du système de canalisations ne pourra remédier à cet état de fait, car toute tentative réactionnaire d'assainissement de ce genre doit nécessairement échouer devant le flot d'ordure en progression géométrique. C'est pourquoi nous devons à chaque pas nous attendre à ce que les débris des bouteilles que nous avons jetées à la poubelle ressurgissent en des endroits inattendus pour nous taillader les pieds.
Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 24-25.