Il faudrait alors, pour légitimer l'approche care, revenir au sens ordinaire de la justice, à la pratique du souci des autres. Le care apparaîtrait alors comme une des voies actuelles vers une éthique de l'ordinaire, concrète et non normative. Il ne s'agit pas de rendre compatibles, dans une sorte de demi-mesure moralisante, la justice et la sensibilité, à introduire une dose de care dans la théorie de la justice, ou à l'inverse une mesure de rationalité dans nos affects. De nombreux travaux en éthique ont argumenté de façon convaincante en faveur de cette compatibilité. Il s'agit plutôt, et plus radicalement, de voir la sensibilité comme condition nécessaire de la justice.
La réflexion sur le care semble opposer une conception féminine et une conception masculine de l'éthique, la première étant définie par l'attention, le souci de l'autre, le sens de la responsabilité, des liens que nous avons à un ensemble de personnes, de proches ; la seconde étant définie par la justice, l'autonomie. Nous n'insistons pas sur la difficulté qu'il y aurait alors à opposer une éthique féminine et une éthique masculine, une éthique du care et une éthique de la justice, au risque de la reproduction de préjugés que l'éthique du care (à première vue, en tant qu'éthique féministe) visait précisément à combattre. On peut, comme Tronto, intégrer le care à une approche éthique, sociale et politique générale, qui ne soit pas réservée aux femmes, mais soit une amélioration du concept de la justice, ou on peut redéfinir le care et le juste en redéfinissant l'éthique, comme l'ont suggéré Nussbaum, Diamond, à partir du sensible, et de la perception morale.
Sandra Laugier, Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), trad. Séverine Sofio, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 172.