Le care vise à aller plus loin, par exemple, qu'une éthique des vertus ou du développement/épanouissement humain ; à valoriser le souci des autres, non contre le souci de soi, mais comme base même d'un réel et réaliste souci de soi. Lorsque Diamond affirme, dans son introduction à L'Esprit réaliste, que la philosophie morale est majoritairement devenue "aveugle et insensible", elle entend par là : insensible à une spécificité humaine du questionnement moral, à cette vie morale ordinaire enchevêtrée avec les autres. Il s'agit là d'une sensibilité au dit et à l'expression qui est inhérente au care, de ces situations particulières où l'on ne supporte pas telle ou telle attitude, tel vocabulaire, où face à quelqu'un, on n'a plus envie d'argumenter, et on se demande : "Qu'est-ce que c'est que cette personne, dans quel monde vit-elle, dans quelle vie notre discussion peut-elle avoir lieu ?" L'important n'est plus alors l'opposition entre sensibilité et entendement, mais une sensibilité conceptuelle, comme des penseurs tels que John McDowell y travaillent par ailleurs [1]. Ce sont plutôt le caractère proprement sensible des concepts moraux, et le caractère perceptif de l'activité conceptuelle qui sont à l'œuvre dans l'approche du réel par le care.
Sandra Laugier, Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), trad. Séverine Sofio, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 170.
[1] John McDowell, Mind and World, Cambridge, Harvard University Press, 1994 ; trad. fr. L'Esprit et le monde, Paris, Vrin, 2007.