L'enjeu, par-delà les débats féministes et politiques ou peut-être à leur pointe, est le rapport à la vie ordinaire. Le care propose de ramener l'éthique au niveau du "sol raboteux de l'ordinaire" (Wittgenstein encore). Il est réponse pratique à des besoins spécifiques qui sont toujours ceux d'autres singuliers (qu'ils soient proches ou non), travail accompli tout autant dans la sphère privée que dans la sphère publique, engagement à ne pas traiter quiconque comme partie négligeable, sensibilité aux détails qui importent dans les situations vécues. Quelle est la pertinence, l'importance du particulier, de la sensibilité individuelle ? Qu'est-ce que le singulier peut revendiquer ? C'est en redonnant sa voix (différente) au sensible individuel, à l'intime, que l'on peut assurer l'entretien (conversation/conservation) d'un monde humain. Le sujet du care est un sujet sensible en tant qu'il est affecté, pris dans un contexte de relations, dans une forme de vie — qu'il est attentif, attentionné, que certaines choses, situations, moments ou personnes comptent pour lui. Le centre de gravité de l'éthique est déplacé, du "juste" à l'"important".

Sandra Laugier, Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), trad. Séverine Sofio, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 167.