Une étincelle de confiance et d'optimisme atavique demeure toujours dans mon cœur et, pour qu'elle s'embrase, il suffit que les ténèbres autour de moi soient à leur plus épais. Que des hommes se montrent bêtes à pleurer, que l'uniforme d'officier français puisse servir de nid à la petitesse et à la stupidité, que des mains humaines, françaises, allemandes, russes, américaines se révèlent soudain d'une étonnante saleté, l'injustice me semble venir d'ailleurs et les hommes m'en paraissent d'autant plus les victimes qu'ils en sont les instruments. Au plus dur de la mêlée politique ou militaire, je ne cesse de rêver de quelque front commun avec l'adversaire. Mon égocentrisme me rend complètement inapte aux luttes fratricides et je ne vois pas quelle victoire je pourrais arracher à ceux qui, pour l'essentiel, partagent mon destin. Je ne puis non plus être entièrement un animal politique parce que je me reconnais sans cesse dans tous mes ennemis. C'est une véritable infirmité.
Romain Gary, La promesse de l'aube [1960], Paris, Folio Gallimard, 1980, p. 287.