Qu'arrive-t-il avec cette mutation culturelle dans la technologie ? La chose la plus évidente c'est ce qu'on obtient en réseau, à savoir le déguisement, la possibilité d'adopter plusieurs identités différentes. Heureusement, aucun mécanisme en réseau n'aboutit à l'identification de notre statut, même si petit à petit on essaie de restreindre le cercle pour imposer ces obligations. C'est justement de notre attitude militante que tout ceci va dépendre, peut-être même avec des effets statistiques, parce qu'en réseau, on fait de la lutte politique sur une base quantitative. Si on réussit à être très nombreux, à mener une action déterminée en réseau, on marque un point. Par contre, tout ce qui est qualitatif — et donc subjectif — est absorbé et recyclé dans une sorte d'équivalence généralisée. Ce qui arrive en réseau, c'est que notre Moi se prête à plusieurs identifications. À la longue, ce mécanisme se répercute aussi sur notre conscience : si bien que notre Moi gagne en souplesse et que nous acceptons l'idée que notre identité ne soit pas ancrée seulement dans l'image que nous avons construite face aux autres et à nous-mêmes, qu'elle ne soit pas ancrée seulement dans notre corps et dans son identité anatomique. C'est alors que nous comprenons que notre véritable identité découle plutôt de notre capacité à gérer une mutation, de faire preuve de souplesse face à la complexité, d'avoir un rapport homéostatique dans cette même complexité. Par conséquent, voilà qu'apparaît une sorte d'auto-conscience (de conscience de notre propre Moi) qui n'est plus ancrée dans certains schémas, dans certaines tendances coercitives à la répétition pour affirmer sa propre identité, mais qui est ouverte au devenir. Elle est donc vraiment relationnelle, vraiment prête au dialogue et éventuellement elle est même disponible pour reconnaître le mal qu'il y a en nous.
Piero Gilardi, "Dialogue avec Carlo Terrosi", Turin, 1998, Texte paru dans Arte-It n°0 Bologna, 1999, in Not for sale, À la recherche de l'art relationnel 1982-2000, Dijon, Les presses du réel, 2002, p. 91.