Maintenant qu'il était mort, beaucoup de choses allaient rester dans l'ombre. Que venait-il faire ce matin-là. À quelles confrontations avions-nous échappé. Qu'auraient-ils bien pu échanger. De quelles intentions était-il animé. Ces questions me taraudaient. L'endroit avait été abondamment nettoyé, les traces avaient été effacées, mais je voyais encore la flaque de sang sur la bordure, j'en voyais encore le contour exact, le hideux éclat. Pour finir, j'ai pris deux hommes qui mendiaient à la sortie du Monoprix et je les ai fait creuser à cet endroit précis pour y planter un arbre. Mais je n'y ai rien gagné. Je la vois toujours. Son hideux contour, son éclat exact. "On peut pas effacer ce qu'on a là-dedans, mon vieux, a déclaré le plus âgé des deux indiquant sa tête tandis que je les reconduisais en ville. C'est de la foutaise de croire qu'on peut."
Philippe Djian, Love Song, Paris, Gallimard, 2013, p. 68.