Si nous admettons que le besoin de créer un langage est essentiel à l'homme, si essentiel qu'on peut commencer à définir sa nature en disant que c'est un animal possédant le désir irrépressible de développer un discours formel, pourquoi doit-il être si pénible de supposer que d'autres catégories de la nature ne tenteraient pas de tracer des formes susceptibles de définir leur signification interne, pourquoi donc n'est-il pas aussi naturel pour la nature de se mettre en forme que pour l'homme de parler ? On pourrait à partir de ce moment là commencer à bâtir une métaphysique de la forme. Si le sens commun demandait aussitôt pourquoi la nature ne désirait pas aussi se dissimuler, en fait élaborer un labyrinthe de formes fausses et trompeuses pour se protéger, on peut admettre que toutes les formes ne sont pas révélatrices, que la forme peut aussi être conçue pour masquer la signification. Il existe pourtant une économie inhérente à la nature qu'on pourrait aussi bien poser en principe, car il est plus facile alors de comprendre les choses qu'en l'absence d'économie ; la prédominance de modes de communication coûteux et trompeurs pourrait se révéler un luxe que le cosmos ne pourrait pas nécessairement se permettre.
Norman Mailer, Bivouac sur la lune [1969, 1970], trad. Jean Rosenthal, Paris, collection Pavillon poche Robert Laffont, 1971, 2009, p. 399.