Troisièmement : l'usage de la couleur, chez Stella, ne soulève pas de difficulté générale, mais le probème de la couleur, dans la sculpture contemporaine, est à bien des égards très aigu. Je ne parle pas seulement du choix de la couleur à appliquer, mais du fait que toute sculpture, de même que tout objet solide, opaque, est colorée, possède une couleur ou en tout cas, une surface. En dernier lieu, tout se passe comme si l'opticalité à laquelle la sculpture d'aujourd'hui aspire nous arrêtait net, nous faisait buter non pas, à proprement parler, sur sa littéralité, mais sur le fait que lorsque nous percevons un objet solide, l'œil n'entre en contact qu'avec sa surface (une parcelle de sa surface). Pour le dire d'une manière un peu différente, tout se passe comme si la sculpture — celle de Caro, par exemple — rendait ce fait troublant et nous en faisait prendre conscience. Comparée à la sculpture, la peinture, dirais-je, est tout entière surface[1]. (Ce qui n'est pas la même chose que de dire que la peinture d'aujourd'hui, donne à cette différence une visibilité inédite.)

Michael Fried, Chapitre 3 Frank Stella : forme et conviction, in Contre la théâtralité, Du minimalisme à la photographie contemporaine, 1998-2006, trad. Fabienne Durand-Bogaert, Paris, nrf essais Gallimard, 2007, p. 95.

[1] Voir l'essai de Thompson Clarke, "Seeing Surfaces and Physical Objetcs", in Philosophy in America, sous la direction de Max Black, Londres, 1996, pp. 98-114. Le fait que l'œil saisit seulement une parcelle de la surface des objets solides joue traditionnellement un rôle important dans le scepticisme philosophique.